En Mai 1981, le danseur japonais Tanaka Min, créateur du Laboratoire de Météorologie du Corps de Tokyo, fait pendant quelques soirs une performance au Germinal à Bordeaux, lieu dont je m’occupe partiellement
Je viens d’intégrer l’agence de photo Viva et, tous les soirs, je le tanne en lui demandant la possibilité de le photographier lors d’une performance spéciale dans le lieu qui lui conviendra (sachant qu’il est très attiré par la pierre des immeubles bordelais)
« Pourquoi faire ? » me répond-il à chaque fois
…je suis, évidemment, bien incapable de lui répondre
Un soir le représentant de la DRAC (direction régionale des affaires culturelles), témoin de nos échanges, pense à un lieu : les « Chevaux des Girondins »
Enlevés par les Allemands en Août 1943 pour être fondus et renaître en canons,
les « Chevaux des Girondins » furent habilement détournés par les cheminots résistants et retrouvés à Angers à la libération.
Ramenés à Bordeaux en 1945, presque oubliés depuis, ils séjournèrent dans un terrain vague sous le pont d’Aquitaine jusqu’à leur remise en place à la Fontaine des Quinconces en 1983
Les chevaux sont donc, en ce jour de Mai 1981, encore dans leur terrain vague
et l’idée convient enfin à Tanaka
Le 11 Mai 1981, vers 11h, tout le monde se retrouve donc dans ce site incongru où les statues sont posées les unes à côté des autres dans l’herbe haute du terrain vague.
Les personnes présentes sont au nombre d’une dizaine : Tanaka, son épouse, son interprète japonais, mon camarade, alors photographe, Philippe Dumail (qui deviendra cameraman pour Antenne 2), et 4 ou 5 élèves des Beaux-Arts avec leur professeur
Tanaka enlève son survêtement : dessous il est nu, le sexe et les bourses emmitouflés dans ce qui ressemble à une bande Velpo, c’est là sa tenue habituelle de performance
Il se colle au poitrail de l’un des chevaux de bronze et commence à glisser très lentement le long de la statue;
passant imperceptiblement sur le dos du cheval puis se déplaçant, toujours très lentement, à quatre pattes dans l’herbe, vers d’autres personnages de la statuaire.
Pratiquant aussi un peu la danse à cette époque, je choisis d’instinct de « danser » avec lui; je me déplace alors, moi aussi, lentement, m’avance vers lui, le croise, le perd, le retrouve, dans une danse complémentaire à la sienne, au rythme des réarmements et déclenchements (je n’avais pas de moteur) de mon Leica M
à chaque fin de pellicule je retourne à mon sac en prendre une nouvelle puis je re-rentre dans la danse
Le résultat est la conjugaison de nos deux déplacements
Sur la première planche-contact les images sont encore désordonnées; dès la seconde, elles s’organisent, et vers la dernière, elles perdent à nouveau leur rythme
A un moment, Tanaka s’est arrêté, agenouillé dans l’herbe, s’est levé, a remis son survêtement
La performance avait duré trois quarts d’heure et 8 pellicules d’environ 36 poses